19/02/1845, Krantenartikel over « hongersnood » in Damme, L’Indépendance belge (http://opac.kbr.be/)

LA FAMINE A DAMME –

La petite ville de Damme a commencé le carême par un jeune très-rigoureux, et qui n’était nullement prescrit par le mandement de monseigneur de Bruges. Damme, on le sait, ne garde plus aucune trace de sa splendeur passée, et sa population est aujourd’hui tellement réduite que deux boulangers suffisent à ses besoins. Or, le mardi gras étant arrivé, les deux garçons boulangers, leur besogne faite, se dirent que le séjour de Bruges devait être infiniment plus agréable, un jour comme celui-là, que celui de leur petite ville, et ils demandèrent chacun à leur maître la permission d’aller fêter le carnaval dans le chef-lieu de la province ; voilà donc nos mitrons courant les rues de Bruges, à la suite des masques et faisant de temps à autre quelque stations dans les cabarets qu’ils trouvaient sur leur passage ; la dernière de ces stations fut tellement longue que, lorsqu’ils se présentèrent à la porte de la ville pour retourner chez eux, la nuit était très-avancée ; on leur demanda 1 fr. 20 c. pour le prix de passage, ils se récrièrent contre la prétention du portier, ils proposèrent une transaction, offrirent même chacun deux sous, mais le portier fut inexorable ; alors nos deux compères décidèrent que le portier n’aurait rien et qu’ils retourneraient dépenser en ville la somme exigée, en attendant l’ouverture des portes ; ainsi dit ainsi fait, et tandis que le portier regagnait son lit en grognant, les deux Dammois se livraient, de nouveau, avec délices, aux charmes du bal masqué, enfin ils s’amusèrent tellement que le jour des cendres était à moitié écoulé quant ils songèrent à retourner chez eux.

Que faisaient pendant ce temps leurs malheureux compatriotes. A pein commençait-il à faire jour que chacun, selon la coutume, vint chez son boulanger pour acheter son pain, mais la boutique était à sec, on se rendait chez le confrère même déconvenue ; les deux boulangeries étaient assiégées par une multitude à jeun et affamée ; les marmots criaient après leur déjeuner, les rues de la ville étaient sillonnées par la foule, le tumulte allait croisant : jamais les vieux échos des ruines que recouvrent le tombeau de l’auteur d’Uylespiegel, n’avait été troublés par un tel bruit. La matinée s’écoula de la sorte, midi vint, les inquiétudes et la faim redoublèrent, car c’était le jour des cendres, on ne pouvait manger ni viande, ni œufs, ni beurre, ni laitage, et il n’y a plus de marée à Damme depuis que la mer l’a abandonnée.

Que faire dans un semblable péril ? Enfin quelques personnes appostées sur la route de Bruges, signalèrent deux points noirs à l’horizon, et bientôt on vit apparaître nos deux mitrons ; la foule s’empara d’eux, les porta en triomphe chacun à son fournil, ils se mirent à pétrir la pâte pendant que les plus affamés aidaient à chauffer le four, enfin à deux heures une fournée abondante était distribuée aux habitans qui tous mangèrent du pain chad. Le médecin de l’endroit profita seul de cette circonstance, il eût plusieurs indigestions à soigner.

Voilà comment les habitants de la microscopique ville de Damme faillirent périr de famine en l’an de grâce 1845.

(J. de Bruges)

19/02/1845
L’Indépendance belge (http://opac.kbr.be/)
1845